Veni. Vidi. Vici. Mais ai-je vécu?
Du haut de mes vingt ans, cette question est une obsession et une crainte, soit celle de ne pas vivre pleinement alors que c’est maintenant que tout se joue. Il est difficile de comprendre pourquoi c’en est ainsi, pourquoi nous limitons notre bonheur à notre jeunesse. Parfois, quand les adultes disent aux plus jeunes de profiter de leurs jeunes années, ils installent chez eux une peur : celle de manquer leur chance. Évidemment, cela n’est pas leur intention, on leur a simplement dit la même chose. Malgré nos esprits perturbés, il nous arrive de survivre depuis des années sans réellement vivre. C’est absolument contradictoire, mais nos questionnements continuels et omniprésents sur le tout et le rien nous empêchent de nous libérer de nos chaînes. Nous voilà prisonniers de nos réflexions. Le temps est le garde qui nous surveille et se moque d’un air niais de nos rituels quotidiens. Reste à trouver la manière de le déjouer.
La crainte de ne pas vivre pleinement est certes effrayante, mais la possibilité est terrifiante. Je rectifie quelque chose ici : ce n’est pas la possibilité en tant que telle qui crée une peur, mais l’ensemble de ses chemins qui font en sorte qu’il est impossible de tous les prendre. Les possibilités sont infinies : à chacun de savoir les confronter ou les accueillir. C’est alors plus une question d’avoir peur de ne pas savoir quelle partie de cette possibilité entreprendre par peur de manquer son coup et de ne plus avoir l’option de choisir. Tout cela est très théorique et impacte les vies de manière soi-disant pratique. Peut-être est-il possible de considérer le moment présent autrement en sachant ceci.
Réfléchir est fort intéressant et il est absolument fascinant et réconfortant de savoir que trois choses dans ce monde sont illimitées : les livres, la capacité de réfléchir et celle de se poser des questions. N’est-il pas merveilleux de pouvoir se questionner sans obtenir les réponses toutes crues ? La soif d’apprentissage restera à jamais inassouvie et cela revient à la raison pour laquelle je juge que la vieillesse n’est pas synonyme de finitude. L’âge est avant toute chose un chiffre et ne veut, en tant que tel, rien dire. Notre société adore les chiffres : elle en ingurgite, en digère, en recrache et repose majoritairement sur eux. Mais la vie devrait-elle n’être que quantitative, voire statistique, ou plutôt devrait-elle être qualitative ? L’âge est psychologique parce que certains adultes sont encore des enfants et certains enfants sont déjà des adultes. Tout est une question de contexte et l’âge varie en fin de compte pour chaque personne. Il est assez merveilleux de savoir qu’une vie nous permet d’accomplir ce sur quoi nous travaillons à l’heure actuelle. Je pense que réfléchir à notre finitude est poétique, mais il y a autre chose à considérer : le temps qui passe lorsque nous réfléchissons. Et parfois, à force d’y penser si souvent, le temps du sablier a, en partie, eu le temps de s’écouler. Le temps court toujours plus vite que qui que ce soit. Et c’est exactement pour cette raison qu’il faut apprendre à vivre le moment présent en comprenant que toute notre vie est le moment présent. Ce n’est pas une question de stades et de niveaux. La vie n’est pas un jeu vidéo : nous vivons constamment dans le présent avec des plans et des pensées passées. Considérer la vieillesse comme une fin et le début de l’inaptitude revient à préconcevoir notre fin et même à l’accélérer. Comme c’est désespérant de voir certains précipiter leur mort alors qu’ils n’ont encore jamais réellement vécu ! Je sais que certains naissent et meurent sans vivre. Et je sais que d’autres meurent tout simplement sans jamais avoir senti qu’ils aient même été nés. Mais certains vivent. Chacun mène la vie qu’il veut mener. Vous savez, la vie n’a pas de règles, notre société en a inventé par ennui.
Il est temps de naître pour apprendre à vivre. Je souhaite à tout le monde de naître avant de mourir. Je souhaite que le moment présent soit vu comme un privilège et non un sortilège. Je souhaite que notre société cesse de concevoir la vie comme des stades. Il est temps de mettre fin à l’idée qu’à la fin d’un de ces supposés stades, les possibilités sont limitées.
Je considère que notre société conçoit la vieillesse d’une manière terrible et que l’âgisme est une réalité. La société nord-américaine tend à peindre le portrait de l’âge comme s’il s’agissait d’une des lois d’Aristote, soit que la vieillesse soit associée à la mort en raison de sa similarité. N’est-ce pas sinistre de concevoir cela de cette manière ? Au contraire, certains se sentent plus en paix en présence d’enfants et de personnes plus âgées. En ce qui concerne les personnes âgées, j’ai un profond respect pour celles-ci pour de multiples raisons. En pensant à ces personnes, il n’est pas question de comprendre ce qu’elles vivront dans les années à venir, mais plutôt ce qu’elles ont vécu et comment elles l’ont vécu. Leur persévérance est admirable, leurs histoires partagées et leurs connaissances, fascinantes. Je les envie d’avoir pu vivre dans un monde autre sans qu’il soit nécessairement parfait. La perfection est absolument ennuyante. Toutefois, j’envie les possibilités que les personnes âgées ont eues, telles que savoir humainement communiquer alors que la réalité est différente aujourd’hui. La parole était autrefois verbale et non tapée sur un clavier une journée sur deux. Nous nous devons de garder espoir la concernant. Je suis reconnaissante envers ces personnes pour ce qu’elles nous laissent et pour ce qu’elles ont construit. Peut-être devrions-nous commencer à mieux gérer les plans de construction qu’elles nous ont laissés pour commencer un projet en leur honneur.
Notre société a tendance à donner la responsabilité aux adultes d’éduquer les jeunes sur la façon de mener une vie, mais je conçois que la leçon dure toute notre vie et que personne à part nous n’est maître. Les autres sont parfois métaphoriquement le savoir que nous lisons dans les livres pour avancer. Le sablier s’écoule et nous comptons les grains de sable qui passent à la place de vivre. À la place de compter les grains, pourquoi ne pas commencer par naître avant que le dernier grain ne s’établisse fatalement parmi les autres ?
Révisé par Miloudza Olmand
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