Celui qui n’est pas soi – par Marie Tougne

Venue au monde, j’ai vagi avant de parler

Je savais déjà ce qui m’attendait

Je suis arrivée comme je repartirai, seule

La place de l’Autre n’était pas ce qu’elle deviendrait

D’insignifiante, elle est devenue éprouvante

À 3 ans, j’ai appris à ne pas parler aux inconnus

La méfiance de la possibilité prévalait sur le potentiel de la découverte

Cachée derrière les jambes de ma mère, j’observais déjà les interactions adultes

Les grandes personnes me paraissaient bien particulières

Le temps n’a su me prouver le contraire

À 10 ans, j’apprenais les dates de guerres

L’incompréhension s’était dès lors établie dans mon esprit

La limite de pages sur un cas discriminatoire précédait l’insomnie

Le « pourquoi » avait rapidement substitué la rétention aveugle

La simple ligne de réponse à l’examen perturbait mon envie de justifier

À 16 ans, mon esprit perturbé était obsédé par la notion de différence

Incapable de me conformer, la quête de sens était incessante

L’idée d’interagir sans en comprendre le fondement, anxiogène

L’Autre avec un « a » majuscule était la plus grande énigme sans réponse

Qu’advient-il du « soi » lorsque l’Autre est absent?

À 21 ans, l’absurdité sociale me fait rire tout comme elle m’attriste profondément

Grandir revient à comprendre l’utilitarisme des relations et non son humanité

La superficialité est devenue le pilier du fonctionnement social

L’importance de dissimuler le véritable ressenti pour prouver sa place, son essence

Réside malgré tout le grain d’espoir pour la rareté de l’échange intègre

Si l’Autre nous apporte quelque chose, il nous retire autre chose. Je n’ai jusqu’à maintenant aucun meilleur exemple à citer que « Huis Clos » de Sartre. Celui-ci dénonce une contradiction profondément humaine : l’amertume pour autrui tout comme sa nécessité. Avons-nous besoin de l’Autre? Il est possible de répondre à cette question par la négative en se disant que l’Autre ne nous est pas essentiel, mais qu’il est désiré. Je conçois que, dans les faits, nous n’avons pas besoin de l’Autre, mais sommes toujours à sa quête. Est-ce par peur d’être confronté à soi ou au vide? C’est à travers cette question que s’interpose la distinction entre la solitude et le fait d’être solitaire : une nuance très subtile et personnelle, mais avec des influences très différentes dans sa notion du confort. Alors que la solitude n’est pas voulue ou recherchée, l’attitude solitaire se manifeste, elle, à la suite d’une préférence pour le délaissement temporaire ou plus prolongé de l’Autre.

              N’avons-nous au final que de la valeur en présence de l’Autre? Est-ce de par notre comparaison au meilleur et au moins bon que nous nous situons humainement? Comment est-il possible de réfléchir à soi sans comparatif ou rétroaction? Seuls, nous sommes vulnérables et la plus profonde représentation de nous-mêmes. Le surpassement personnel est différent du besoin de se prouver : le premier peut être intrinsèque, mais le deuxième restera toujours dans l’optique d’obtenir une réaction de l’Autre. C’est ce qui a toujours été intriguant avec la guerre : la perte de sens dans la volonté de prouver son point. Quelle faiblesse de considérer optionnelle l’idée de détruire! Faut-il tuer pour faire comprendre son point de vue? Pourtant, morts, nous ne pouvons plus rien comprendre. Le côté le plus impuissant de la puissance réside dans la guerre ou l’abus de pouvoir.

J’insiste alors sur la nécessité de la communication : terme simpliste de la plus grande complexité imaginable. Il ressort toujours quelque chose d’une conversation, aussi minime soit son importance. Si l’échange fait grandir, c’est que personne n’en ressort perdant. C’est peut-être ce qui est devenu attristant : le côté utilitariste de l’Autre. Une conversation est désormais utilisée afin de faire passer le temps sans construire quelque chose derrière. Les questions posées ne sont plus dans le but de comprendre, mais de répondre le plus rapidement et efficacement possible, et parfois, ce que l’Autre veut entendre. La superficialité installe progressivement une forme de conformisme nuisible freinant la créativité et l’innovation. L’Autre nous est utile et non plus affilié. Si ces propos paraissent pessimistes, il suffit de regarder autour de soi pour constater que la réalité n’en est pas si différente. Il est important de réitérer l’absurdité même de la préoccupation passagère pour l’Autre et notre facilité à aborder tout sujet autre que les plus fondamentaux.

Si la phrase : « Tout seul ensemble » m’a toujours percutée, c’est parce qu’elle est très significative. Certaines phrases parlent toutes seules. Ne sommes-nous pas au final une agglomération d’individus seuls? Seuls dans nos têtes, dans nos cœurs, dans nos lits le soir après avoir éteint la lumière, dans nos rêves comme dans nos cauchemars. Être ensemble ne veut pas nécessairement dire savoir vivre ensemble. Qu’est-ce qu’il est facile d’être ailleurs alors que nous sommes avec quelqu’un! Nous voilà donc confrontés à l’un des plus grands défis du 21e siècle : le vivre-ensemble, le savoir-vivre. Petits, on nous inculquait avoir soit des amis ou des ennemis. Adultes, on comprend au final n’avoir que très peu des deux.

À 2 ans, j’aurais aimé me faire dire la vérité au lieu de me faire lire des contes de fées

À 5 ans, j’aurais aimé être écoutée lorsque j’exprimais mon opinion

À 8 ans, j’aurais aimé avoir des périodes libres à l’école pour discuter de diverses thématiques

À 14 ans, j’aurais aimé ne pas me faire dire de penser d’une certaine façon

À 16 ans, j’aurais aimé ne pas me faire répéter constamment que ça irait

À 18 ans, j’aurais aimé que l’expression : « discuter comme des adultes » soit substitué par celle de « discutons tels des enfants »

À 20 ans, j’aurais aimé entendre résonner la vérité

À 30 ans, peut-être comprendrons-nous

À 40 ans, peut-être aimerons-nous

À 50 ans, peut-être parlerons-nous

À 60 ans, peut-être vivrons-nous…peut-être vivrons-nous ensemble

Révisé par Miloudza Olmand


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