Le souffle sur ma nuque d’un monde ne s’arrêtant jamais.
Le sentiment de ne pas vivre, mais de juste exister.
Se sentir dériver dans l’espace-temps sans pouvoir se tenir à quoi que ce soit.
Sans pouvoir profiter du moindre moment, du moindre plaisir.
Chaque seconde passée à procrastiner avait l’effet d’une grosse goutte brûlante me tombant sur la tête. Une goutte d’un liquide lourd, épais et amer de déception. Je faisais semblant que tout était sous contrôle. Que tout allait pour le mieux. Que les brûlures ne faisaient pas si mal. Qu’au moins, elles ne laisseraient pas de cicatrices. C’est seulement lorsque ces gouttes finissaient par inadvertance entre mes lèvres que ce goût amer me heurtait de plein fouet et que, soudainement, le poids de mon manque de productivité s’écrasait sur mes épaules. Essayant de me libérer de ce fardeau, je dormais de nombreuses heures. Non seulement ce fardeau persistait, mais les gouttes continuaient leur danse incessante. Je me sentais en train de me noyer dans le plus profond des silences. Une apnée me serrant un peu plus la poitrine, et ce, chaque seconde. Chaque minute. Chaque heure. Chaque jour. Voilà ce que j’ai ressenti dernièrement. Même si se remémorer cette période et transférer ces souvenirs à l’encre a été assez pénible, je crois fermement que c’est en se laissant être vulnérable que l’on peut véritablement s’ouvrir à autrui et s’aider mutuellement. Pour la communauté étudiante du monde entier, l’anxiété de performance n’est pas un phénomène qui date d’hier. C’est une réalité quotidienne et, même si l’intensité de cette expérience varie selon l’étudiant ou l’étudiante, ce fléau nous concerne tous et toutes. Le nombre alarmant de jeunes vies pleines de rêves et d’ambitions ayant fini inanimées lorsque cette anxiété les a finalement libérées de sa poigne. Dans mon cas, cela ne m’était pas arrivé depuis mon secondaire, mais certains et certaines ne sont pas aussi chanceux.ses et leur lutte est constante. D’autres n’ont tout simplement jamais ressenti d’anxiété de performance, mais par solidarité étudiante, il est de notre devoir de nous renseigner afin de pouvoir soutenir nos collègues en cas de besoin.
Avant de plonger dans le cœur du sujet, je veux faire une parenthèse sur la pire conséquence pouvant résulter de l’anxiété de performance : la perte d’une vie. Au cours de mes recherches, ce qui m’a surpris est le fait que même si ce sont souvent les étudiantes qui présentent des troubles anxieux, ce sont les étudiants qui ont les taux de suicide les plus élevés. Cette dichotomie m’a intrigué et en y pensant un peu plus, on pourrait pointer du doigt le stéréotype culturel toxique selon lequel les hommes ne sont pas supposés révéler la moindre faiblesse. Ils doivent garder toutes leurs craintes et leurs angoisses enfouies au plus profond de leur être et continuer d’avancer sans les adresser, en espérant que toutes ces voix finiront par se taire. Pour certains, c’est heureusement le cas. Toutefois, pour de nombreux malheureux, cette chorale de désespoir ne fait que prendre de l’ampleur jusqu’à devenir assourdissante. Des pensées dangereuses ne furent pas évacuées. Elles ont alors pu fermenter, prendre du volume et se transformer en un poison fatal. Celui-ci quitta leur psyché et se mit à pulser au travers de tout leur corps. Ce mal-être, devenu tel le sang coulant dans leurs veines, les a consumés de l’intérieur jusqu’à ce qu’ils ne soient plus. Ces incidents tragiques sont des rappels que malgré le fait que notre succès soit, en effet, entre nos mains, il faut aussi s’assurer d’avoir de la compassion pour soi-même de temps en temps. Même si d’affreux incidents se produisent partout à travers le globe, je trouve qu’il est utile, dans le but de préserver notre santé mentale, de respecter nos problèmes à l’échelle qu’ils sont. Mes problèmes peuvent sembler banals par rapport à la pauvreté mondiale, mais ce sont les miens et j’ai le plein droit de me sentir déboussolé face à ces derniers; surtout qu’en tant qu’étudiant de neuroscience cognitive (il en va de même pour mes frères et sœurs d’armes en psychologie), notre parcours est des plus compétitifs. Entre maintenir un GPA (Grade Point Average) au-dessus de 4,0 (4,2 et plus pour être confortable), s’impliquer régulièrement et développer son expérience en recherche et en intervention, il est facile de se sentir hors d’haleine. Ajoutez à cela une pandémie mondiale et des complotistes sortant dans les rues et vous avez un cocktail anxiogène des plus délectables. Face à cette situation, après avoir vécu « le bas » décrit au début du texte, il était temps de remonter la pente et c’est grâce aux moyens suivants que j’ai pu me sortir du marécage psychique dans lequel j’étais.
Tout d’abord, il m’a été utile de me questionner sur ma trajectoire de vie. Quel est le but ultime vers lequel je progresse chaque jour? Ce n’est clairement pas d’avoir un GPA de 4,3. Je ne pense pas que ça paraîtrait si bien comme épitaphe de toute façon. En général, nous avons tous et toutes un but plus grand que nous-mêmes. Nous voulons avoir ce fameux « impact positif sur l’humanité ». Je me suis rendu compte qu’en enlevant le poids de changer le monde de mes épaules et en me suffisant à être pleinement moi-même, l’un mènerait inévitablement à l’autre. Si je m’efforce à être la meilleure version de moi-même chaque jour, j’aurai ce fameux impact positif en tant que fils, en tant que frère, en tant qu’ami et éventuellement en tant qu’époux et en tant que père. Si mes efforts m’amènent au doctorat, tant mieux. Cela m’ouvrira d’autres portes au travers desquelles je pourrai propager ma contribution positive ; en tant que professionnel de la santé, en tant que professeur, en tant que chercheur ou en tant que tuteur. Toutefois, si mes efforts ne portent pas fruit, ma vie ne s’arrêtera pas là. Les portes vers ma famille seront toujours ouvertes pour moi, que je sois au chômage ou au sommet du monde. Il en va de même pour mes ami.e.s proches et surtout, il en va de même pour ma propre personne. Je dois être la meilleure version de moi-même chaque jour par amour envers moi-même et par respect envers ce joyau qu’est l’opportunité d’être vivant. C’est en chérissant ces petites pépites de support omniprésentes que j’ai réussi à voir la lumière au bout du tunnel et à me dire en toute sincérité ce que tous ces arcs-en-ciel n’avaient pas réussi à faire résonner en moi : ça va aller.
Un autre moyen qui m’a aidé à m’en sortir est de travailler sur mon identité afin qu’elle soit de nature plus résiliente et compatissante envers elle-même. J’avais vu un concept du nom de Identity-Habit Harmony provenant d’une vidéo (Frank, 2020) discutant des principales leçons présentées dans le fameux livre de productivité « Atomic Habits »(Clear, 2018). Un exemple illustrant celui-ci serait le suivant : disons que je n’arrive pas à me mettre à étudier. Je me poserais alors la question suivante : « Qui suis-je ? ». Si ma réponse est que je ne suis qu’un étudiant suivant ses cours pour son GPA ou parce qu’il a payé sa session, aucune lueur ne devrait s’allumer en moi. Toutefois, si je suis un aventurier du monde en perpétuelle quête de savoir, l’idée de me plonger dans un bassin de connaissances aura comme effet d’attiser la flamme sommeillant en moi et de me propulser vers mon bureau avec fougue et enthousiasme. Cette même méthode peut être appliquée dans presque toutes les sphères de la vie. Ce travail plus profond sur moi-même m’a permis de me créer un bouclier contre de multiples pressions externes telles que l’anxiété de performance.
Pour conclure, ceci était mon expérience personnelle avec l’anxiété de performance et quelques moyens m’ayant permis de me rebâtir plus solide à la suite de cette dernière. Je me demande si mon expérience aurait été moins pénible si je pouvais voir mes collègues pendant les cours, mais c’est une question à laquelle je n’aurai probablement pas de réponse. J’ai vraiment hâte de revenir en présentiel et j’espère que ce confinement nous permettra d’apprécier plus pleinement ce privilège que nous avions d’interagir entre nous et avec le corps professoral. Par rapport au sujet principal qu’était l’anxiété de performance, je souhaite voir nos classes devenir des milieux moins compétitifs et plus propices à l’entraide, à l’empathie et à l’ouverture à l’autre. Je suis sûr que cela aura comme effet de drastiquement diminuer le taux d’anxiété dans la communauté étudiante et de permettre à tous et à toutes de s’épanouir autant sur le plan académique que personnel. Avant la fin de mon périple universitaire, j’espère sincèrement nous voir abattre les murs de l’indifférence et en prendre les parcelles afin de construire des ponts entre nos âmes. Sur ce, je vous laisse sur ces paroles de Daniel Defoe, l’auteur de « Robinson Crusoé »; des paroles que nous savons tous intuitivement, mais qu’il est toujours bénéfique de se rappeler : « La crainte du danger est mille fois plus terrifiante que le danger présent ; et l’anxiété que nous cause la prévision du mal est plus insupportable que le mal lui-même » (Le Monde.fr, s. d.).
Révisé par Alexia Leblanc
Références
Clear, J. (2018). Atomic habits: An easy & proven way to build good habits & break bad ones. Random House.
Frank, T. (2020, 23 septembre). The 3 life-changing ideas in James Clear’s atomic habits [vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=sJwZLTztg5s
Le Monde.fr. (s. d.). Citation & proverbe anxiété. Citations avec Dico – Citations. https://dicocitations.lemonde.fr/citation.php?mot=anxiete
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