— « Et toi, qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras plus grande ? » résonnent encore les voix des grand.e.s, qui n’ont jamais rien de mieux à faire dans les réunions de famille que de s’inquiéter de mes plans.
— « Je veux être vétérinaire ! » que j’ai répondu, haute comme trois pommes, ignorant encore que ce métier était plus complexe que de m’amuser avec des chats et des chiens toute la journée.
Parce que, petite, je voulais faire toutes sortes de choses. Je désirais devenir une grande actrice, comme beaucoup d’enfants probablement. Je me voyais être une ballerine, malgré ma grâce inexistante. Puis, j’ai atteint les douze ans et les idéaux sont devenus plus réalistes : vétérinaire, avocate, médecin. Je rêvais d’importance, de me démarquer au sein d’une société qui me semblait déjà injuste. J’ai atteint l’école secondaire, j’ai développé une passion pour les arts et mes ambitions ont changé. Déjà piquée par le syndrome du sauveur, je me suis réorientée vers une carrière complètement différente : celle de l’animation en deux dimensions. Poussée par cette impression d’être spéciale (caractéristique si typique de l’adolescence), je m’imaginais faire revivre cette méthode engloutie par la technologie. Diable, je me voyais ouvrir mon propre studio ! L’idée m’a suivie durant presque tout mon secondaire, alors que j’affrontais les dires et préjugés de ces grands-tantes qu’on ne voit que durant le temps des Fêtes. On me rappelait sans cesse mon excellence scolaire, on me ramenait au visage le faible succès que je risquais de recevoir, le potentiel gâché qui aboutirait, selon elles, aux ordures. Je me souviens avoir hésité avant de soumettre ma demande d’admission au cégep. Comme si une petite voix se doutait que là n’était pas ma place. Pourtant, j’ai suivi cette idée que j’avais engravée dans ma tête et j’ai envoyé ma candidature pour le programme d’animation. On m’a sollicitée à l’examen d’entrée, pour lequel je me suis entraînée comme jamais.
Le refus m’a frappé comme un coup de poignard. Je me souviens, à ce moment, avoir eu l’impression qu’on m’arrachait le cœur. Des murs, je n’en ai pas rencontré souvent ; j’en suis consciente et reconnaissante. Celui-ci était le premier vrai obstacle. Plus qu’un non, c’était la fin de tout un parcours que j’avais décidé, de toute une vie que j’avais dessinée. On nous le répète depuis qu’on est tout.e petit.e ; la façon de faire, la bonne, c’est le primaire-secondaire-cégep-université-travail. Aucune place au doute, aucune place à l’erreur. Et moi, j’avais échoué. En ratant l’examen, je donnais raison à toutes ces personnes qui avaient douté, qui m’avaient implorée de suivre un chemin plus conventionnel. Je me souviens avoir marché dans les couloirs de mon école secondaire, alors que les gens partageaient le verdict de leur demande d’admission. J’entends encore les paroles de mes camarades comme s’iels les prononçaient à mes côtés pendant que je rédige ces mots : « Toi, on ne te même demandera pas si tu as été prise ! C’est sûr que oui ! » À chaque fois, de nouvelles briques s’ajoutaient au mur, et ma gorge se serrait sous la honte de l’échec. Même la conseillère en orientation m’a félicitée pour mon admission. Je ne crois pas avoir déjà plus dévisagé quelqu’un.
Finalement, j’ai rejoint le programme d’arts visuels, avec un cours d’introduction à la psychologie comme option. J’y suis restée une session.
Encore aujourd’hui, on me demande mes plans. Ils sont beaucoup plus nuancés, beaucoup plus réalistes. Le doctorat, c’est l’objectif, comme beaucoup d’étudiant.e.s du programme. Cette fois, cependant, je prends le tout un jour à la fois. L’anxiété de performance n’a pas disparu, la peur de me retrouver nez à nez avec une nouvelle montagne d’échecs est toujours aussi présente. Elle ne représente simplement plus une fatalité.
Parce que ce chemin qu’on nous présente quand nous sommes enfants, ce dogme sociétal qu’est le parcours « typique », il ne tient pas debout. Je ne connais pas une seule personne dans mon entourage qui n’a pas changé de programme ou même complètement changé d’orientation. Tant mieux pour ceux et celles qui ont toujours su ce qu’iels désiraient faire et qui y sont arrivé.e.s ! Cependant, il faut cesser de l’enseigner comme l’unique trajet légitime. Selon une étude menée dans les régions de Lanaudière, de la Mauricie et du Saguenay-Lac-Saint-Jean, plus de 46 % des étudiant.e.s au niveau collégial étaient incertain.e.s quant à leur choix de carrière ; plus de 13,2 % n’en avaient même aucune idée (Gaudreault et al., 2014). Même une fois le diplôme en main, il est ardu de se trouver un emploi lié au domaine d’étude complété ; le processus prend souvent plusieurs mois et peut grimper jusqu’à cinq ans pour les immigrant.e.s (Tshikudi, 2018).
Finalement, je ne sais pas si j’ai écrit ce texte plus pour vous ou pour moi. Je crois qu’il m’est important de mettre mon parcours sur papier, pour peut-être dissiper cette honte d’avoir échoué à ce dont on a tant essayé de me conditionner et qui persiste encore aujourd’hui. Je crois qu’il peut aussi te servir à toi, qui te demande comment les autres font pour être aussi perdu.e.s face à leur avenir ; qui te demande comment les autres font pour être aussi certain.e.s. Nous sommes tous et toutes différent.e.s et nos histoires le sont toutes autant. Ne pas suivre son plan A, ne pas réussir du premier coup, ce n’est pas dramatique. Peut-être qu’à force de le répéter, un jour, nous réussirons à alléger cette pression que l’on s’inflige à nous-mêmes. Peut-être qu’un jour, nous nous pardonnerons l’erreur.
Révisé par Indira Sydney-Louis
Références
Gaudreault, M., Labrosse, J., Tessier S., Gaudreault, M. et Arbour N. (2014). L’intégration aux études et l’engagement scolaire des collégiens : enquête menée dans les régions de Lanaudière, de la Mauricie et du Saguenay-Lac-Saint-Jean : rapport de recherche. ÉCOBES – recherche et transfert du Cégep de Jonquière. https://ecobes.cegepjonquiere.ca/media/tinymce/Enquetes/HabVie2010_RapportRecherche2014(5).pdf
TaniaRose. (2018, 29 juin). [image en ligne]. Pixabay. https://pixabay.com/fr/photos/temps-travail-horloge-caf%C3%A9-5193038/
Tshikudi, P. B. (2018, 29 juin). Pour les nouveaux diplômés, trouver un premier emploi est d’abord une affaire de contacts. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1109384/nouveaux-diplomes-recherche-premier-emploi-contacts-immigrants
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